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Le Grand Paris et la tentation du millefeuille

Doter la région capitale d’outils administratifs adaptés à ses enjeux était indispensable. La volonté politique est désormais affichée. Reste à éviter les chausse-trappes, et ils ne manquent pas.

Voici donc Christian Blanc en charge du dossier que Nicolas Sarkozy « tient à cœur » de faire progresser : celui du Grand Paris. Une ardente obligation. Toutes les études convergent en effet, qui pointent – la liste n’est pas exhaustive – la qualité de vie en lente dégradation en région parisienne, les transports publics en voie de paupérisation, l’absence de coordination des politiques économiques et urbaines locales, le décrochage relatif de la région capitale dans les classements internationaux (poids économique, attractivité).

Paris est un cas unique dans le cercle fermé des grandes capitales du monde : une ville timbre poste (105 km2 – à comparer aux 600 km2 de la ville de Tokyo ou aux 900 km2 de Berlin), sorte de forteresse qui commande une vaste emprise urbaine à laquelle elle tourne le dos (9,7 millions d’habitants dans l’agglomération, répartis sur 2 700 km2). L’hypercentre que constitue la ville capitale enserrée dans son périphérique comme pour se protéger de sa banlieue, n’échappe pas lui-même aux contradictions. Embourgeoisement d’un côté, appauvrissement de certains arrondissements de l’autre, ossification sociale et urbaine avec la lente perte des classes moyennes. Alors retour du volontarisme d’Etat au service de la première agglomération de France ? Pourquoi pas. Les relations entre l’Etat et la mégapole parisienne sont consanguines après tout. S’il est un terrain de jeu où l’Etat aime à intervenir malgré plus de 25 ans de décentralisation affichée, c’est bien celui, ô combien stratégique, de l’avenir de la région parisienne. De la création de la Défense aux grands chantiers mitterrandiens, les réalisations qui doivent leur existence à la volonté du Prince ont façonné le visage du « Grand Paris » -l’Histoire, encore elle. Ainsi quand le Président s’empare d’un dossier défendu depuis plus de vingt ans par un architecte et urbaniste aussi visionnaire et aussi peu suspect de sarkozysme béat que Roland Castro, quand le Maire de Paris se montre attentif et prêt à coopérer, on peut espérer dépasser enfin les clivages politiques et les guerres picrocholines. Et il est temps. Christian Blanc devra faire face, à n’en pas douter, à la superposition de tous les conservatismes bien intentionnés. En région parisienne, il n’est pas un chantier ou une initiative qui ne se heurte à la résistance, pèle mêle, des associations de riverains, de la conservation du patrimoine, des automobilistes en colère, des intérêts des commerçants de quartier, quand ce ne sont pas les luttes fratricides entre élus. La coupe d’un arbre malade, même au nom d’un projet à l’intérêt public incontestable, peut prendre des allures de combat de tranchées.

Là où beaucoup de grandes agglomérations françaises ont réalisé, ou sont en passe de le faire, une mue remarquable, Paris semble englué. Des exemples ? En Seine Saint-Denis, le projet de tours – au nombre de trois, d’une centaine de mètres de hauteur environ et d’une qualité architecturale indéniable – qui doit consacrer le renouveau du quartier du Stade de France et lui donner une attractivité internationale est ainsi au point mort depuis des mois. La cause ? Depuis certains angles, les tours masqueraient une hypothétique vue sur la basilique du Sacré-Cœur dans le lointain… remettant ainsi en cause les autorisations administratives. On se pince : ici, sur un territoire cerclé par les autoroutes, une ancienne friche il y a peu encore totalement délaissée, dont tout le monde se moquait éperdument et dont le développement est une bénédiction pour le Nord de la région parisienne dans son ensemble, faire de la nostalgie une politique n’est pas seulement ridicule : c’est coupable. Il est vrai que le chantier porte une tare majeure, celle de s’appuyer sur la construction de tours : Architecture bannie, référence aux ratés des années 70 et à leurs stigmates, les dalles piétonnières battues par les vents du XIIIe arrondissement et de Beaugrenelle. Peu importe alors que les tours nouvelle génération offrent la meilleure réponse aux défis énergétiques et d’occupation de l’espace dans ce type de zones. Peu importe donc, les faits. Dossier miné par la subjectivité et les symboles, comme tant d’autres en région parisienne. De quoi décourager les meilleures initiatives.

Il faudra bien, comme souvent en France, la volonté de l’Etat pour battre en brèche les vieux réflexes, raccommoder le tissu urbain déchiré par le périphérique, pousser les logiques de concertation et de coopération entre élus, définir les axes majeurs de développement de l’agglomération. Mais si l’enjeu est bien concret, il est aussi administratif. Car Paris et son agglomération font partie d’une région, qui a pour nom l’Ile-de-France et dont les frontières, si elles dépassent géographiquement la métropole, se confondent quand-même singulièrement avec elle. Cette situation est inédite parmi les régions françaises, peut-être appelle-t-elle une réponse inédite. La tentation – le risque, c’est selon – serait d’ajouter une couche au millefeuille administratif et de créer un organe d’intercommunalité englobant, suivant les versions, tout ou partie de la première couronne parisienne. Tentation d’autant plus forte que la région, nul ne l’ignore, est tenue par le socialiste Jean-Paul Huchon et dispose d’une mainmise sur la politique des transports.

Mais est-ce d’une couche administrative supplémentaire dont l’agglomération a besoin, ou de davantage de cohésion et d’une redéfinition des missions au sein des structures existantes ? Il faudra à Christian Blanc des trésors de diplomatie et de patience pour rallier à la juste cause du Grand Paris le monde politique local. Mais il lui faudra aussi proposer des chemins nouveaux. Rien ne serait pire que l’invention d’un gadget destiné à régler quelques enjeux politiques locaux de court terme au profit de l’actuelle majorité. Car Paris n’est pas une ville comme les autres – et c’est sans doute ce qui l’empêtre aujourd’hui. L’enjeu est de taille, saluons l’initiative et ne gageons pas de la suite.

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